Revivez notre plénière

Comment vendre et manager autrement, avec les clés de lecture de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération (EFC) ?

Telle fut la problématique de notre plénière du 25 Février 2022. S’engager sur la trajectoire d’un nouveau modèle économique n’implique pas que la volonté du dirigeant. Si dans une logique classique le commercial est en charge de vendre un maximum de produits ou de services standards à un bénéficiaire, le manager doit, lui, tenir la conformité du travail à des process tout aussi standardisés et aux sacres saints déterminants de productivité. Le prisme de l’EFC leur propose d’adopter de nouveaux repères dans leurs métiers, offrant de réels perspectives de développement durable de leur structure. Zoom sur nos référentiels !

Référentiel Commerciaux​

Conduire une trajectoire de coopération avec le client.

« Dans une logique industrielle, on parle de transaction. » introduit pendant notre plénière Romain Demissy, co-porteur du dispositif de professionnalisation pour commerciaux et managers à l’origine de ce référentiel. « Une transaction n’est pas une relation. C’est la rencontre très formelle d’une offre définit avec un acheteur, séduit par le bien ou le service en question. Pour autant, les deux parties n’ont pas besoin de se connaitre. Dans une perception classique, ils sont même substituables. Ce qui intéresse la logique industrielle n’est ni l’acheteur, ni le vendeur : c’est l’objet de la transaction. 

Pourtant, les entreprises et leurs bénéficiaires sont bel et bien en relation. Dans une perspective servicielle : l’enjeu du commercial est justement de coconstruire cette relation de service et lui accorder sa centralité. Car c’est bien dans les relations de service que se trouve la valeur : la connaissance des enjeux de vos interlocuteurs, votre originalité et la pertinence de vos solutions, votre singularité ou encore la demande réel de votre client. »

Avec les lunettes de l’EFC, il s’agit de concevoir que les clients d’une imprimerie, par exemple, ne veulent pas juste des impressions, mais plutôt savoir comment s’en servir. Il s’agit égalemment de comprendre qu’ils ne peuvent pas savoir à l’avance le périmètre de leur propre demande. « Tout cela implique de rentrer dans une forme de relation de travail avec eux, pour comprendre leurs besoins réels, assimiler leurs contraintes, leurs enjeux, leur fonctionnement. L’ambition est de passer d’une logique de catalogue dans lequel on démontre toutes les solutions disponibles au problème, en faisant défiler des produits standardisés et des services prestés comme des quasi-biens, à une logique d’accompagnement où l’on identifie le besoin réel, qui n’est pas forcément la demande initiale du client, et où l’on coconstruit une solution de service, dans un temps plus long, centrée sur des usages réels dont l’identification est déjà un travail. »

Nos adhérents ont donc pu expérimenter de nouveaux repères métiers au travers de six enjeux distincts et complémentaires :

L'accroche

« Dans une logique classique les commerciaux ont des formes d’accroche particulières, reprend Romain Demissy : notamment la prospection. Sortir de cette logique de catalogue implique de creuser avec le client le fait qu’en réalité, on ne connait pas sa véritable demande et que lui même ne peut pas le savoir en amont. Au lieu de pousser au chausse-pied un bien ou un service standard, nous avons donc besoin de repenser cette fameuse accroche. C’est-à-dire l’objet de la rencontre : ce qui fait qu’un client vient à vous. Dans une perspective servicielle, la question est alors de savoir comment créer des occasions de cette rencontre. » Non pas entre une offre et une demande émise sur un marché, mais bien entre un individu, ses contraintes, ses enjeux et son organisation, avec un professionnel, son expertise et sa capacité de vous accompagner autour de votre problématique.

Le rythme

« Dans une relation de service traditionnelle, celle enfermée dans une standardisation des échanges, il n’y a pas de temps. Une transaction se situe toujours dans l’instantané. Dans le modèle classique, « si ça se passe en 1 min, 2h ou 6h : c’est la même chose » comme aurait pu le dire Bergson, auteur favori de notre intervenant. Dans une relation servicielle, reprend-t-il, le rythme est une affaire bien plus sérieuse. Le fait que les autres ont besoin de temps pour vous comprendre et inversement, pose cette question du rythme d’une relation de service. C’est là un élément central du nouveau métier de commercial : Comment organiser ce rythme ? «  

Julien Da Costa, dirigeant de l’imprimerie Flex’ink et participant historique à notre dispositif pour commerciaux, illustre : « Traditionnellement, on a des repères clairs sur la manière dont on doit vendre et acheter des produits. Une fois qu’on rentre dans une relation de service on ne peut pas demander au client de comprendre tout ce qui va se passer. L’idée est donc de construire des repères communs pour permettre d’entrer avec le client dans une trajectoire, qui est un temps relativement long, pour traiter avec le temps les enjeux réellement important derrière les enjeux de la matière. » Non plus imprimeur et encore moins vendeur d’encre et de papiers, Julien Da Costa se dit aujourd’hui accompagnateur de projets d’impression pour marquer ainsi la rupture dans la relation de service qu’il initie. « Commercialement, l’idée c’est d’engager un parcours avec le client : la vente démarre au moment où le client commence à signer, alors que d’habitude elle s’arrête au moment où il a signer. C’est là toute la différence. »

La bonne distance

L’imprimeur, pour reprendre notre exemple, doit donc alors se mêler du travail de l’autre pour comprendre ses enjeux de communication, ses contraintes en termes d’usage, ceux de ses équipes, leurs habitudes, tout un tas de questions auxquelles un imprimeur traditionnel, enfermé dans une simple posture de prestataire, ne se pose pas. Dans une perspective servicielle, de quoi se mêle l’imprimeur ? Jusqu’où peut-il aller dans l’accompagnement de son client ? Voilà les questions que pose une nouvelle perception de la relation de service.

L'effet "poulet rôti"

« Pour autant, ce n’est pas le tout de faire vivre une expérience dans la relation de service : l’important est pouvoir revenir dessus, poursuit Romain Demissy. Grâce à un processus que nous appelons la réflexivité, nous pouvons penser et prendre appui à partir des expériences qui se vivent dans le travail. C’est en expérimentant ce processus que nous avons pu en produire un outil, à savoir le « poulet rôti ». Pour retrouver notre petite note sur l’outil à partir de ce drôle de schéma si précieux à notre sujet, cliquez ici !

La réflexivité se joue à 3 niveaux :

  • En interne, comment avons-nous travaillé pour le client ?
  • Dans la relation, quelle est l’expérience que l’on a eu avec le client ?
  • Chez le client, qu’est que notre travail déplace et/ou de quel(s) déplacement(s) aurait-on besoin de voir advenir ?

Céline Douchet, codirigeante de l’agence de communication Bang Communication, témoignait à ce propos lors de notre plénière : « On ne peut pas évaluer seulement à la fin le travail qu’on a produit, puisque pour qu’on le réussisse, on a besoin de l’engagement du client, de moyens, des infos. Notre performance dépend d’abord de la relation de service. On va donc évaluer notre travail mais aussi celui que le client doit fournir pour nous permettre de viser juste. Pour évaluer cela, ça signifie que déjà, au début du projet, il faut qu’on définisse ensemble des objectifs communs, des engagements communs, une méthode de travail : c’est là qu’on revient en arrière et qu’on refait perpétuellement une boucle tout au long du projet, lors de temps d’échanges réflexifs. Cela modifie continuellement notre manière de travailler avec le client, d’ajuster notre organisation ensemble, de redéfinir nos objectifs en se confrontant au réel dans le travail, devant les contraintes des uns et des autres. » Le but n’est pas en soi de faire de la réflexivité mais d’adopter un mode d’organisation réflexif. Ce n’est même pas quelque chose qui doit être ponctuel, mais quelque chose de structurel dans l’organisation. On estime qu’environ 20% du temps de travail qui doit être consacré à la réflexivité, en interne comme en externe, avec les clients, les partenaires.

L'écosystème

« Plus encore, dans le modèle classique, reprend Romain Demissy, on pense la transaction autour de deux personnes : un client et un fournisseur. Quand on rentre dans une logique de service, tout de suite s’invitent dans la relation des éléments qui débordent : les autres partenaires de nos clients par exemple, ou nos propres partenaires susceptibles d’apporter des morceaux de réponses à notre enjeu de performance. Enfaite, s’invitent dans la relation des externalités, c’est-à-dire des effets qu’on produit sur d’autres qui donnent des occasions d’étendre la relation. Mais aussi des effets que produisent d’autres sur notre propre travail, de façon indirect. »

Plus concrètement, Thierry Sustar, dirigeant de l’entreprise Opalean et participant au parcours commerciaux, témoignage : « Notre métier est d’aider des entreprises à gérer l’économie circulaire de leurs emballages, à optimiser l’usage des emballage et pour cela, il nous faut embarquer tous leurs partenaires. Opalean favorise les conditions de réussite de la coopération chez ses clients. Elle est garante de la coordination et de la mise en relation entre le chargeur et ses partenaires de transport, notamment autour de la gestion des palettes. On organise leur coopération, on l’anime. Si concrètement la plateforme digitale apporte une visibilité en temps réel sur les flux des palettes, permettant une meilleure restitution, moins d’achat et moins de perte, la réussite d’Opalean repose donc essentiellement sur la capacité des clients à prescrire l’utilisation de la plate-forme à leurs transporteurs. Pour garantir les bénéfices de la solution, il est primordial que chaque client mobilise ses équipes en interne, mais également son écosystème d’acteurs logistique (fournisseurs, transporteurs, entrepôts). Aujourd’hui, la mise en place d’outils permet de faciliter cette coopération, comme une charte d’engagement partagée, un kit de coopération client – transporteur, des réunions d’informations, des formations, des temps de médiation ect … ». 

Les outils métiers

Nous le percevons au travers des témoignages de cette plénière, la coopération ça ne se décrète pas. Elle se travaille, elle s’outille. Les outils métiers représentent à ce titre un champs de transformation primordial. Les conventions, les devis, les factures, l’enjeu est de comprendre comment faire évoluer ses outils pour qu’ils soutiennent et soient au service d’une bonne coopération, là où dans une logique classique, centrée sur des transactions liées aux volumes de biens et services (heures d’intervention, quantité de produits etc.), la contractualisation est source de tension et de rapport de force. Si il y a en effet des modes de conventionnement plus ou moins favorable à une bonne coopération, l’agence numérique Les Fabricants a pu innover à ce sujet. 

Benjamin Dequevauviller, co-dirigeant de la structure, témoignait à ce propos sur l’idée d’un « devis après travail » : « Tous les mois, un « devis » est envoyé au client sur la base du travail réel qui a été engagé. Ce « devis » est l’occasion de créer un espace de dialogue visant à révéler les ressources qu’on a mobilisées, ainsi que les résultats qui n’étaient pas prévus au début de la commercialisation. Cet outil permet ainsi de valoriser l’ensemble des effets utiles qu’on peut produire réellement, au travers d’une dépense acceptable. Nous pouvons ainsi mieux faire valoir nos propres contraintes et mettre en avant notre travail réel et les gains de temps économisés grâce à nos conseils. » Preuve en est, 100 % des devis envoyés aux clients sont signés sans être négociés ou remis en cause. 

Référentiel Managers 

Soutenir la dynamique de travail et ses ressources immatérielles.

D’un côté, la coopération en interne et en externe sont des éléments indispensables pour parvenir à concrétiser un modèle pertinent relevant de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération. Malheureusement, la coopération ne va pas de soi. Il y a des modes d’organisation du travail et de structures en générale qui sont plus ou moins propices à la coopération. Les fonctions managériales sont donc en première ligne pour organiser le travail de plusieurs parties prenantes en intégrant les enjeux liés à la coopération.

« Pour faire fonctionner tout un tas d’enjeux de productivité, introduit Sandro De Gasparo, co-porteur du dispositif de professionnalisation pour commerciaux et managers à l’origine de ce référentiel, la logique industrielle a besoin de standardiser des biens et des services (automatiser les activités humaine, rendre plus rapides des machines etc.). Le process étant donc lui aussi standardisé, tout le rôle du manager dans une logique industrielle est de se mettre au service du process, faire respecter des déterminants de productivité. Ce « contremaitre » fait tenir cette conformité entre le travail et les process standardisés. Il encadre le travail selon des protocoles, des contrôles de conformité etc.

Quand on quitte ce monde, on recentre le travail sur la singularité des personnes, des situations, des rencontres et du monde tel qu’il est, pas tel qui serait idéalement selon des process » (exemple : devoir changer un pneu en 3 min chrono sans prendre en compte la singularité des relations, tel qu’un client qui aurait besoin d’un conseil pour éviter de détériorer son pneu à l’avenir).

« C’est là que l’ergonomie intervient : pour affirmer que le travail est avant tout une confrontation avec l’état du monde, qui est bien plus complexe que ce qu’on est en capacité d’imaginer avec sa propre subjectivité. Si dans le modèle industriel le réel est source de problèmes, de dysfonctionnements, de coûts, de dépenses et que l’on court toujours derrière pour rattraper cela, pour corriger les erreurs et les écarts, dans une perspective servicielle, le réel permet au contraire une ouverture à un repositionnement permanent du travail face à ce qui se joue dans l’activité des personnes, au travers des situations diverses.

Les racines de la fonction managériale, représentées par ce schéma, doivent donc être son ancrage dans le réel : le fait de connaitre par l’écoute et le dialogue, par l’observation, de reconnaitre ce qui se passe pour de vrai, non simplement ce qui devrait être dans le prescrit. 

La vision politique

La première fonction, la tête du manager, c’est celle qui consiste à tenir la vision politique, au sens de la visée sociétale, de la visée entrepreneuriale, d’une certaine étique du travail. La fonction managériale à cet égard sert à tenir la cohérence entre le système de valeur et ce qui se passe réellement dans le travail, devant les contraintes des uns et des autres. Ce n’est pas qu’une question de pensée et d’idéologie mais bien une question d’organisation. C’est finalement d’ailleurs un métier, celui de directeur de cabinet. » Antoine Raynaud, directeur de cabinet de la ville de Loos-en-Gohelle, témoigne : « Une grande partie de mon travail est d’essayer de positionner des projets en cohérence avec la politique globale. J’ai donc un rôle de garant du portage collectif de la visée politique. Je suis en charge de faire atterrir la commande politique du maire, dans le réel. » « À ce titre, lors des parcours, nous nous sommes rendus compte qu’il faudrait créer une fonction de directeur de cabinet dans toutes les entreprises », conclut Sandro De Gasparo.

La "Doctrine"

« Le premier bras du manager est le fait d’élaborer une pensée, ce que nous appelons une doctrine, reprend notre intervenant-chercheur. C’est-à-dire un ensemble de concepts opérationnels qui servent à interpeler le réel et orienter l’action. Il ne s’agit pas simplement de déployer des outils, mais plutôt de s’approprier une conscience de penser des choses différemment à la logique industrielle. Avoir une doctrine permet, par exemple, de mettre au travail la résolution de conflits sans tomber dans des enjeux de personnes (motivation, personnalité etc.), mais plutôt à partir de l’idée que ces tensions proviennent toujours structurellement des questions d’organisation du travail (isolement, manque de moyens, manque de temps etc.). La doctrine pose des questions de perspective : Pourquoi y a-t-il des personnes qui résistent face au prescrit ? Pourquoi des clients font volte face ? Pourquoi un partenaire nous échappe ? » En cela le manager doit offrir un espace permettant au collectif d’instruire ces questions sans siloter les interprétations personnelles. « C’est tout ce que le taylorisme a nié. Taylor disait : « je ne demande pas à mes ouvriers de penser parce que d’autres pensent à leur place ». Toute l’organisation industrielle est fondée sur un déni de la pensée des hommes au travail et il est absolument essentiel que dans nos démarches, avec l’EFC, nous puissions réintroduire cette fonction fondamentale qui fait de nous des êtres humains et qui nous porte en santé, génère de l’émancipation dans le travail. »

Les dispositifs organisationnels

Le deuxième bras du manager est celui qui permet de manier des dispositifs organisationnelles. « Dans une vision classique (industrielle), explique notre ergonome, ce qui est premier dans l’organisation : c’est la conception du process de production. C’est-à-dire que le management est au service de l’organisation. Le manager doit faire respecter l’organisation prescrite, contrôler que le fait que celle-ci est respecter, de façon souvent très formelle à travers des organigrammes, des fiches de postes, des fiches de missions etc. Dans une perspective servicielle, on renverse ce rapport. Ce qui est premier : c’est le côté vivant, c’est le côté relationnel, ce qui compte, c’est la relation de service qui va, comme nous l’avons décrit dans le référentiel pour commerciaux, impacter l’offre pour l’adapter aux besoin réels. Dans cette perspective, l’organisation est modelée au service du travail réel. C’est-à-dire l’écart entre le prescrit et ce fameux réel, qui n’est accessible qu’au travers de dispositifs de révélation des contraintes des uns et des autres, au travers d’espace de délibération sur des règles de travail : Qu’est-ce que c’est que le travail bien fait ? Qu’est-ce qui rentre en confrontation avec ce niveau de qualité souhaité ? Ainsi, le manager offre une capacité de penser le travail, non pas simplement l’organisation. »