Manager autrement avec l'EFC

Manager autrement : telle fut l’une des problématiques de notre plénière du 25 Février 2022. L’occasion de partager notre référentiel des questions managériales, naît d’une mise au travail de situations réelles chez nos adhérents. En voici la substance.

Dans une logique classique, le manager doit tenir la conformité du travail (le prescrit, comme des heures d’intervention devisées au préalable) à des process tout aussi standardisés et aux sacres saints déterminants de productivité. 

Dans une logique dite servicielle, il s’agit plutôt d’adopter de nouveaux repères vis-à-vis du travail réel (ce qui se vit concrètement au travers une relation de service, comme une évolution de l’organisation établie face à des évènements inattendus dans le projet). En affirmant que la captation des effets utiles du travail doivent être le centre du développement économique d’une entreprise (visée de l’EFC), le manager doit donc permettre de soutenir la dynamique vivante du travail et ses ressources immatérielles. 

D’un côté, la coopération en interne et en externe sont des éléments indispensables pour parvenir à échapper aux travers des rapports économiques et sociaux classiques. Pour autant, la coopération ne va pas de soi. Elle ne se commande pas.

Si la coopération, comme la confiance et bien d’autres déterminantes, ne se décrètent pas, il demeure des modes d’organisation du travail et des structures en générale qui y sont plus ou moins propices. Les fonctions managériales sont donc en première ligne pour organiser le travail de plusieurs parties prenantes en intégrant les enjeux liés à la coopération, c’est-à-dire au partage des contraintes des uns et des autres dans cet espace vivant et complexe qu’est le travail.

« Pour faire fonctionner tout un tas d’enjeux de productivité, introduit Sandro De Gasparo, co-porteur du dispositif de professionnalisation pour commerciaux et managers à l’origine de ce référentiel, la logique industrielle a besoin de standardiser des biens et des services (automatiser les activités humaine, rendre plus rapides des machines etc.). Le process étant donc lui aussi standardisé, tout le rôle du manager dans une logique industrielle est de se mettre au service du process, faire respecter des déterminants de productivité. Ce « contremaitre » fait tenir cette conformité entre le travail et les process standardisés. Il encadre le travail selon des protocoles, des contrôles de conformité, etc.

Quand on quitte ce monde, on recentre le travail sur la singularité des personnes, des situations, des rencontres et du monde tel qu’il est, pas tel qui serait idéalement selon des process. C’est là que l’ergonomie intervient : pour affirmer que le travail est avant tout une confrontation avec l’état du monde, qui est bien plus complexe que ce qu’on est en capacité d’imaginer avec sa propre subjectivité. »

« Si dans le modèle industriel le réel est source de problèmes, de dysfonctionnements, de coûts, de dépenses et que l’on court toujours derrière pour rattraper cela, pour corriger les erreurs et les écarts, dans une perspective servicielle, le réel permet au contraire une ouverture à un repositionnement permanent du travail face à ce qui se joue dans l’activité des personnes, au travers des situations diverses.

Les racines de la fonction managériale, représentées par ce schéma, doivent donc être son ancrage dans le réel : le fait de connaitre par l’écoute et le dialogue, par l’observation, de reconnaitre ce qui se passe pour de vrai, non simplement ce qui devrait être dans le prescrit. »

Schéma en version académique disponible par ce clic.

La vision politique

La première fonction, la tête du manager, relative au système de valeur, c’est celle qui consiste à tenir la vision politique, au sens de la visée sociétale, de la visée entrepreneuriale, d’une certaine étique du travail. La fonction managériale à cet égard sert à tenir la cohérence entre le système de valeur et ce qui se passe réellement dans le travail, devant les contraintes des uns et des autres. Ce n’est pas qu’une question de pensée et d’idéologie mais bien une question d’organisation. C’est finalement d’ailleurs un métier, celui de directeur de cabinet. » 

Antoine Raynaud, directeur de cabinet de la ville de Loos-en-Gohelle, témoigne : « Une grande partie de mon travail est d’essayer de positionner des projets en cohérence avec la politique globale. J’ai donc un rôle de garant du portage collectif de la visée politique. Je suis en charge de faire atterrir la commande politique du maire, dans le réel. » « À ce titre, lors des parcours, nous nous sommes rendus compte qu’il faudrait créer une fonction de directeur de cabinet dans toutes les entreprises », conclut Sandro De Gasparo.

La "Doctrine"

« Le premier bras du manager est le fait d’élaborer une pensée, ce que nous appelons une doctrine, reprend notre intervenant-chercheur. C’est-à-dire un ensemble de concepts opérationnels qui servent à interpeler le réel et orienter l’action, lui donner un sens. Il ne s’agit pas simplement de déployer des outils, mais plutôt de s’approprier une conscience de penser des choses différemment à la logique industrielle. Avoir une doctrine permet, par exemple, de mettre au travail la résolution de conflits sans tomber dans des enjeux de personnes (motivation, personnalité etc.), mais plutôt à partir de l’idée que les tensions proviennent toujours structurellement des questions d’organisation du travail (isolement, manque de moyens, manque de temps etc.). 

La doctrine pose des questions de perspective : Pourquoi y a-t-il des personnes qui résistent face au prescrit ? Pourquoi des clients font volte face ? Pourquoi un partenaire nous échappe ? » En cela, le manager doit offrir un espace permettant au collectif d’instruire ces questions sans siloter les interprétations personnelles. « 

C’est tout ce que le taylorisme a nié. Taylor disait : « je ne demande pas à mes ouvriers de penser, parce que d’autres pensent à leur place ». Toute l’organisation industrielle est fondée sur un déni de la pensée des hommes au travail et il est absolument essentiel que dans nos démarches, avec l’EFC, nous puissions réintroduire cette fonction fondamentale qui fait de nous des êtres humains et qui nous porte en santé, génère de l’émancipation dans le travail. »

Les dispositifs organisationnels

Le deuxième bras du manager est celui qui permet de manier des dispositifs organisationnelles. 

« Dans une vision classique (industrielle), explique notre ergonome, ce qui est premier dans l’organisation : c’est la conception du process de production. C’est-à-dire que le management est au service de l’organisation. Le manager doit faire respecter l’organisation prescrite, contrôler que le fait que celle-ci est respecter, de façon souvent très formelle à travers des organigrammes, des fiches de postes, des fiches de missions, etc. 

Dans une perspective servicielle, on renverse ce rapport. Ce qui est premier : c’est le côté vivant, c’est le côté relationnel, ce qui compte, c’est la relation de service qui va, comme nous l’avons décrit dans le référentiel pour commerciaux, impacter l’offre pour l’adapter aux besoin réels. Dans cette perspective, l’organisation est modelée au service du travail réel. C’est-à-dire l’écart entre le prescrit et ce fameux réel, qui n’est accessible qu’au travers de dispositifs de révélation des contraintes des uns et des autres, au travers d’espace de délibération sur des règles de travail : Qu’est-ce que c’est que le travail bien fait ? Qu’est-ce qui rentre en confrontation avec ce niveau de qualité souhaité ? Ainsi, le manager offre une capacité de penser le travail, non pas simplement l’organisation. Cette perception du management est alors centrée sur la professionnalisation, l’innovation et la régulation. »

  • Référentiels et appropriations des travaux menés par le Club Noé et le laboratoire de recherche et d’intervention Atemis (Sandro De Gasparo & Romain Demissy) lors des dispositifs de formation pour commerciaux et managers avec l’EFC.