J’entends des bourdonnements derrière le mur de ma salle de bain. En tapotant le plâtre du plafond, tout s’agite de plus belle. Des abeilles, des guêpes ou des frelons font leur nid dans mes combles.
J’appel au numéro d’une société habilitée à ce type d’intervention. Un professionnel se présente à ma porte – nous allons constater le ballet des insectes autour d’un endroit précis de ma toiture. Surprise – l’homme ne dégaine aucune arme de destruction massive. Il se réjouit en souriant – quels jolis bourdons !
Vous savez Monsieur j’ai été apiculteur. C’est ma passion – ça me ferait mal d’exterminer des bourdons dans cette situation.
Presque trente minutes de discussion plus tard, je comprends que les bourdons ne vont pas détériorer – ne vont pas nous attaquer – ne représentent pas tant une menace et qu’il serait même plutôt opportun de les considérer comme des alliés. Mon jardin que j’envisage productif en fruits et légumes ne peut se passer de ces précieux pollinisateurs.
Je comprends que toutes les intuitions de cet homme sont fondées – au-delà de l’originalité de la démarche. Moi qui pensais assister à un massacre. Je prends confiance – il me rassure. À toutes les questions et les options qui me traversent – il argumente. Je perçois l’expérience de l’expert. Il n’est pas là pour exécuter la sentence. Il veille – il jauge – il ouvre la porte à l’hypothèse de chasser ces braves bourdons si j’insiste – mais d’abord, il explique. Dès Octobre ils ne seront plus là – avec un peu de chance l’année prochaine ils ne reviendront pas. À votre place je les laisserai tranquilles.
Problème – mon expert est un salarié payé pour tuer. Il est engagé pour chasser – pas pour préserver.
Les bourdons enfin graciés de ma peine de mort – je m’étonne tout de même. Je ne vous dois rien ? Non – par contre je dois justifier mon déplacement. Si jamais – dites que vous avez réglé le problème avec d’autres prestataires qui sont déjà passés. Si ma hiérarchie comprend que je n’ai rien fait – je vais me faire taper sur les doigts.
Rien fait ? – me voilà rassuré que nous ne risquons rien – me voilà outillé pour vivre avec – me voilà conscient, positif et renseigné. Qu’est-ce que ça vaut ? Cette compétence venue rencontrer ma problématique – ça ne compte pas ? Fallait-il tuer pour que j’y trouve de la valeur ?
Voilà le piège caricatural et pourtant concret de nos modèles économiques centrés sur la marchandisation. Puisque je n’ai pas dû acheter la marchandise – le traitement insecticide appliqué par la main du prestataire – ce n’est rien. C’est du temps perdu. Cela ne vaut rien. Soulagé de n’avoir rien payé – j’en ai pourtant été gêné – lui qui avait dû faire de nombreux kilomètres jusqu’à mon domicile.
Nos rapports économiques et sociaux se noient dans des petites et grandes injustices – j’ai trouvé celle-ci assez poétique. Parce qu’il n’a pas commis l’éradication – il risque le châtiment. Parce qu’il a pris soin – il a fauté. Au regard de la rentabilité de sa structure – il a commis le véritable crime – il n’a pas exécuter. Un déserteur de la guerre économique.
De toute façon mon patron pense arrêter de nous faire intervenir chez les particuliers. Puisque la politique c’est de nous rendre sur place pour établir un devis, on constate qu’il y a beaucoup trop de déplacements qui ne débouchent pas sur des interventions – au sens de l’éradication. Votre cas de figure n’est pas exceptionnel – je peux parfois passer plusieurs jours à me déplacer chez les gens sans jamais faire signer un devis.
Nous avons besoin de nouvelles manières de valoriser notre travail et son utilité – besoin de nouveaux modèles économiques.
Maxime – animateur du Club Noé
Par Fonctionnalité – nous questionnons l’utilité.
L’intervention d’un expert des problématiques liées aux insectes ? Pour faire quoi ? Nos organisations sont massivement – culturellement – centrées sur la marchandisation. Une intervention – pour faire quoi ? Pour vendre le traitement insecticide appliqué par la main du prestataire ? Plus l’entreprise réussie à vendre d’applications de traitements insecticides – ses marchandises – plus elle se développe dans une logique classique. L’EFC est à contrario un ensemble de points de repère pour organiser le développement de nos structures – autrement – durablement – en redéfinissant la valeur que nous produisons – nos utilités.
Nos utilités sont bien plus complexes – bien plus plurielles et bien plus profondes – bien plus immatérielles – que ce que la logique de marchandisation de notre travail le laisse croire. Absolument toutes les organisations, qu’elles soient publiques ou privées, productrices de biens ou de services, sont concernées par ces enjeux.
L’anecdote des bourdons n’est pas qu’une anecdote. Les utilités produites par l’intervention n’ont pas été révélées – pas valorisées – incomprises. Cette situation n’est pas anodine – c’est une grande généralité de nos modes d’organisation.
Par coopération – nous questionnons les bonnes conditions à réunir pour mettre en discussion la valeur – ces fameuses utilités qui doivent être replacées au centre de nos organisations. Ces bonnes conditions sont propres à chaque structure – à chaque situation.
L’EFC est donc un point de vue – un prisme. Ce n’est pas pour autant un dogme – un livre de recettes ou une marche à suivre. C’est une logique de questionnement – des questions difficiles à instruire seul. La mission du Club Noé est de vous permettre de questionner vos modes d’organisation et de production – coconstruire avec vous les bonnes conditions d’émergence de votre nouveau modèle économique.