Nouveaux modèles économiques : Qu'entendons-nous ?

De manière trop conceptuelle, un modèle économique est un processus de création de valeur. Les questions qui y sont soulevées sont de savoir quelle est la valeur que l’on crée et comment la produit-on. 

Ce que nous pouvons traduire derrière cette notion de « valeur » dépend du prisme de lecture, de la logique économique qui nous domine bien souvent sans en prendre conscience.

L’enjeu des nouveaux modèles économiques est donc de redéfinir collectivement ce qui a de la valeur et comment peut-on la produire autrement, dans une perspective de développement plus souhaitable d’un point de vue social et environnemental.

Ce prisme des nouveaux modèles considère aussi, parallèlement et systémiquement, la soutenabilité financière comme une déterminante centrale. Non pas comme un enjeu à sacrifier ou simplement à repeindre en vert. Nous pouvons affirmer (à partir de nos expérimentations concrètes) que le prisme de l’Economie de la Fonctionnalité et de la Coopération, comme nouveau modèle économique en ce qu’il redéfinit ce qui a la valeur (les effets utiles plutôt que les volumes de biens et services standards) et la manière de la produire (voir notre référentiel pour commerciaux par ce clic) : permet de faire converger nos intérêts financiers avec les enjeux sociaux et environnementaux, là où ils s’opposent quasiment en permanence (nœud du problème d’après nous).

En économie, se distinguent la valeur économique et la valeur d’usage.

La valeur économique représente la dimension «monétaire» du modèle économique. C’est-à-dire le processus de capture de valeur sous forme d’argent. Cette dimension focalise l’attention dans une logique « financiarisée ». 

Comment gagner un maximum d’argent ? Telle est la question centrale des entreprises financiarisées où tout se compte ou ne compte pas.

Pour autant, un modèle économique n’est pas simplement quelque chose qui relève des affaires, quelque chose d’enfermé dans le système marchand, dans la manière dont on génère de l’argent et où l’on fait du business. 

Les anglo-saxons utilise le mot « Business Model » pour aborder le sujet du modèle économique. Cette expression que nous avons fini par adopter, fait pourtant tâche. Elle met uniquement l’accent sur l’échange marchand. C’est-à-dire les conditions dans lesquelles une activité génère de l’argent. On y met l’accent avant toutes autres considérations sur la notion de rentabilité. La rentabilité d’une organisation est bien entendu nécessaire, importante et décisive. Il n’y a pas de modèle économique sans rentabilité. Ce n’est pas pour autant la seule question à poser, ni même la question centrale.

Aparté lexical

Aviez-vous déjà entendu parler de la chrématistique ?

Il s’agit d’une notion conceptualisée par Aristote pour décrire l’accumulation de moyens d’acquisition, plus particulièrement de la monnaie. La chrématistique est donc l’art de s’enrichir, d’acquérir des richesses. La disparition de ce mot est justement révélatrice. 

Lorsqu’une entreprise réussit à dégager un chiffre d’affaires considérable, on affirme qu’elle fonctionne économiquement. Ce n’est pas correct. De la confusion des mots vient la confusion des choses. Car l’étymologie du mot « Economie » désigne « l’administration de la maison ». Avec « oikos » qui veut dire « maison », et nomos qui signifie « gérer ».

Quand arrivait le froid dans la maison de notre cher Aristote, il lui fallait assez de bois pour se chauffer. Il fallait une solide porte pour parer les dangers. Il lui fallait réapprovisionner son stock de nourriture lorsqu’il s’épuisait et donc, cette mécanique faisait tourner le foyer. L’économie (autant que le terme « modèle économique ») n’est donc pas de façon centrale une affaire de capitalisation financière, mais d’abord une question de fonctionnalité : une question vivante.

Aborder la question du modèle économique est donc un sujet bien plus large, comportant certes le sujet du modèle d’affaire, mais aussi la manière dont on va produire un bien ou un service de manière plus ou moins standardisée, plus ou moins circulaire.

La manière dont on va gouverner l’entreprise : à savoir si l’organisation sera pyramidale, avec un grand commanditaire au sommet, ou bien transversale, lorsque les parties prenantes sont associées dans la prise de décision, etc. 

Le sujet du modèle économique doit englober également la manière dont l’entreprise va contractualiser. À savoir que l’offre peut être standardisée, auquel cas peu importe le client, ou bien spécialiser et valoriser en fonction de la situation de travail vécue, dans d’autres temporalité que celui d’un devis prédictif, au travers d’autres considérations que des volumes de marchandises (notamment dans une logique de valorisation des effets utiles produits).

Le mode de financement impacte lui aussi, parfois de manière absolue, la mécanique de ce que nous appelons modèle économique. L’exemple de certains acteurs publics qui financent des volumes de prestations de service est un bon exemple de ce qui peut (malheureusement) conditionner toute une proposition de valeur.

En effet, la véritable question centrale du modèle économique : c’est l’utilité, c’est cette fameuse valeur d’usage.

La valeur d’usage interroge ce qui est utile. Ce en quoi ce qu’une organisation produit répond de manière juste et censée à un besoin réel. La principale raison pour laquelle nous ne parvenons pas à rentrer pleinement dans un développement durable, c’est bien parce que ce n’est pas parce que l’on produit des effets utiles que l’on capte de l’argent

La notion « d’effets utiles » révèle ce qui, généralement, relève quasiment de l’accessoire dans des considérations standards : comme la création de lien social, la préservation de l’environnement, la pertinence d’un usage dans le temps : des données qui ne se calculent pas et ne peuvent ni se présumer, ni se comparer dans ce piège que beaucoup appelle « le marché ».

Traditionnellement, ce n’est pas, par exemple, parce qu’un imprimeur se préoccupe des économies de papier qu’il peut réaliser, ou de la pertinence des documents qu’on lui demande d’imprimer, qu’il va gagner plus d’argent, mais uniquement s’il réussit à vendre le plus d’impressions à ses clients. 

Ce sans comprendre véritablement leurs usages, leurs besoins réels qui, au-delà de l’impression de documents, sont des besoins de communication (à l’échelle d’une fonctionnalité). Ce sans pouvoir réellement envisager de contribuer à la préservation des ressources non renouvelables qu’il mobilise, puisque sa rentabilité dépend de volume à faire consommer.

Mettre au travail les perspectives d’un nouveau modèle économique pour une imprimerie adhérente du Club Noé, a permis, par exemple, à chiffre d’affaire égal, de consommer moitié moins de matières premières (papiers, encre, etc.). 

  • Cette approche des nouveaux modèles économiques, cette doctrine et donc ce langage, sont inspirés ou tiennent pour crédit les travaux du laboratoire de recherche et d’intervention ATEMIS.
  • Dans sa série de vidéos « Transitions économiques de territoires vers le DD », le Cerdd propose par ce lien : une « Interview de Christian Du Tertre, Directeur Scientifique d’Atemis sur les nouveaux modèles économiques d’entreprises et de développement des territoires. » Celle-ci est un excellent moyen de poursuivre et compléter le propos de cet article.